Manifestations nationalistes à Moscou : "hooliganisme" ou véritable crise politique ? (Alekseï Malachenko)

Publié le par Podrujka

Rappel : à la suite de l’assassinat par des Caucasiens d’un supporter de football russe, plusieurs manifestations dirigées contre les Caucasiens ont eu lieu, notamment à Moscou, les 11, 15 et 18-19 décembre. Elles ont rassemblé des milliers de personnes (1600 manifestants ont été ARRETES par la police à Moscou le 15).

 

Je vous propose  le point de vue d'Alekseï Malachenko, chercheur au Centre Carnegie sur la question :

 

"Les manifestations violentes du mois de décembre à Moscou, motivées, pour certains, par le meurtre du supporter du « Spartak » Egor Sviridov par des assailllants Caucasiens, peut tout à fait être qualifié de crise politique – ou de conséquence d’une crise politique. En les analysant, il convient d’être aussi prudent que possible, afin de ne pas passer pour un provocateur ou un « je m’en foutiste » (du type « voyons, il n’est s’est rien passé ») . Il ne faut ni rien exagérer, ni rien ignorer.

 

D’abord, il faut clairement comprendre ce qu’il s’est passé. Deux visions de ces évènements coexistent. D’après la première, il s’agissait seulement de délinquance (« hooliganisme ») de masse, avec un coloris ethnique. D’après la seconde, nous avons été témoins d’une confrontation interethnique, atténuée par l’aspect d’une « démonstration de force » des supporters.

 

La première version est plus confortable pour les autorités : il est plus facile de s’occuper des « hooligans ». La deuxième, au contraire, exige une approche plus sérieuse, autrement dit, la reconnaissance d’une augmentation qualitative de la confrontation interethnique avec toutes les conséquences qui en découlent. Du choix de l’analyse, dépend par exemple le chef d’inculpation contre les participants à la « révolte » qui ont été détenus à Moscou et dans d’autres villes : s’agit-il de « hooliganisme » ou d’ « incitation à la haine interethnique » - ce qui est très différent ?

 

Je ne pense pas me tromper en affirmant que la société adhère plutôt à la deuxième version.

 

Cette vision des choses, si elle prévaut au sein du pouvoir lors de l’analyse de  la tragédie du mois de décembre (car c’est véritablement une tragédie), exigera des autorités de sérieuses réflexions et actions pour empêcher la hausse des tensions interethniques et interconfessionnelles. En outre, n’importe-quels conflits avec une composante ethnique sont complexes du fait qu’il est impossible de désigner le coupable et celui qui a raison. Le pouvoir, justement, a traditionnellement tendance à chercher une solution simple, en « noir et blanc ».

 

La « crise politique » à laquelle je faisais référence, bien que l’expression puisse sembler un peu exagérée, est en fait appropriée, dans la mesure ou cette manifestation, qui a réuni des milliers de personnes dans les deux capitales et dans d’autres villes russes, constitue précisément, pour un Etat multiethnique et multiconfessionnel, une crise politique. La conduite de cette action pointe l’incompétence du pouvoir, son incapacité à assurer la stabilité dans un Etat de ce type. Un autre exemple qui le prouve est la guerre civile latente dans le Caucase, à laquelle tous se sont habitués depuis longtemps et à laquelle on ne fait guère plus attention.

 

N’est-il pas suffisant que la majorité de la société russe soit favorable à la séparation du Caucase du Nord d’avec la Russie ? Personnellement, je considère que cela serait impossible, mais après les évènements du mois de décembre, le nombre de personnes souhaitant se débarrasser du Caucase et des Caucasiens va encore augmenter.

Je pense que décembre 2010 constitue une charnière, et non seulement dans les relations interethniques, mais dans la situation du pays tout entière. Ce qui s’est produit à la veille de 2011 peut se reproduire n’importe-où et n’importe-quand – il faut simplement un prétexte, et on trouvera toujours un prétexte."

 

Cet article a été publié sur le site Internet du Centre Carnegie (lien ci-dessus).

Publié dans Société

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